Sunday, July 21, 2024

La campagne “Curijambo” ouvre son atelier de forge

Dans la soirée de ce jeudi 18 juillet 2024, une trentaine de locuteurs-activistes de la langue Kirundi se sont retrouvés dans une petite salle du siège des “Éditions Gusoma” à Bujumbura pour s’atteler à la fabrique de quelques nouveaux mots en kirundi. Leur objectif pour la soirée était de réduire le déficit de cette langue dans le domaine de l’économie. La rencontre lançait aussi la campagne dénommée « Curijambo » ("Forge un mot"), qui projette d’étendre cet effort à six autres domaines socioéonomiques dépourvus de mots essentiels en kirundi, dont la santé, l’agriculture et l’élevage, l’éducation, les arts et les sports.

 Il sera difficile aux Éditions Gusoma de faire vivre et prospérer le livre en kirundi sans se mettre elles-mêmes à la forge de cette langue. Certes, elle est riche et exquise, comme en témoigne le dictionnaire Kirundi-Français du Père Firmin Rodegem, vieux de 54 ans ! Mais depuis l’infiltration du pays de Mwezi Gisabo par des marchands, des ethnographes et géographes, des Missionnaires d’Afrique, des troupes coloniales, des récepteurs radio, des ordinateurs, des smartphones, etc. il n’a cessé d’y entrer par flots ininterrompus des produits et des concepts étrangers aux Barundi. Ce flot a toujours dépassé la capacité disproportionnellement basse des artisans du kirundi à suivre le rythme et s'adapter. Ainsi, dans bien des situations, les Barundi se retrouvent littéralement fauchés en mots pour communiquer entre eux dans leur langue, avec précision, sans détours ni approximations. À force d’emprunts aux langues étrangères, le kirundi traîne à ce jour une dette énorme, accumulée sur plusieurs décennies d’inertie. Même l’Académie rundi, relancée à la rescousse du kirundi, est comme tétanisée par le déficit abyssal de la balance commerciale des langues.

 Corriger le déficit de cette balance promet d’être un travail de longue haleine. Toutefois, si ce jeudi 18 juillet, la campagne “Curijambo” a ouvert les portes de son atelier de forge, c’était d’abord pour répondre à la commande pressante de certaines professions – journalistes, accompagnateurs des communautés paysannes en développement, etc.  – quotidiennement en manque aigu de mots kirundi. 

Au bout de trois heures et demie de labeur sous la supervision de M. Ferdinand Mberamihigo, linguiste et lexicologue, Professeur à l’Université du Burundi, officiant ce soir-là en contremaître, huits mots sont sortis de la forge :

  • “Igúrizo” pour “contrat de vente” ;
  • “Urugūsho” pour “avance (sur paiement) ;
  • “Ikirihiriro” pour “facture” ;
  • “Icěmezandíshi” pour “reçu (de paiement)” ;
  • “Umunyámugǎmbi” pour “entrepreneur”;
  • “Ubunyámugǎmbi” pour “entrepreneuriat” ;
  • “Umurānzi” pour “commissionnaire” ;
  • “ Ndandariza” pour “prescripteur”.

Si au final, la production de l’atelier de ce jeudi soir ne couvrit que deux cinquièmes du bon de  commande, long de 20 mots, il faut louer le résultat et en tirer des leçons. Les prochaines soirées d’ouvrage seront tenues à une plus grande productivité. Il faudra le concours d’érudits de la langue pour remonter,  de leurs puits de connaissances, des mots kirundi et forger de nouveaux mots ou mots-valises aux sens comparables ou proches, sinon les créer de bric et de broc. Le concours des praticiens de chaque secteur visité, comme le fut jeudi soir Chantal Ntima, coach et Directrice de la Maison de l’Entrepreneur, sera indispensable.

La campagne « Curijambo » et, plus généralement, la réduction des déficits de la langue Kirundi ne sont pas à assimiler aux  préoccupations d’un petit cercle de linguistes et activistes du Kirundi. Plus une langue est précise et diffusée, plus nombreux sont les citoyens qui accèdent à la faculté de mieux communiquer, mieux comprendre, s’épanouir, développer et avancer, cohabiter selon des règles justes et claires. Les principales carences de la langue kirundi s’amassent sur le terrain des sciences. Nommer en kirundi un Accident Vasculaire Cérébral (AVC), c’est faire reculer l’occultisme et ceux, nombreux, qui ignorent cette pathologie neurologique et cherchent des empoisonneurs à envoyer sur le bûcher. Mais au-delà, ces déficits de langue créent et creusent les écarts sociaux entre gens, là où la langue peut agir pour les combler.  

Les promoteurs de la campagne « Curijambo » savent que leurs ateliers de forge ne sont pas équipés pour la production industrielle qu’appelle le déficit de la balance commerciale des langues. Toutefois, leur contribution modeste a le mérite d’exister et boucher des trous. Et tant qu’à faire peu, le faire bien devient crucial, c’est-à-dire avec un peu plus de clarté et d’organisation dans les principes et la méthodologie suivis dans la forge des mots. On retiendra qu’il y en aura eu peu mais importants et méthodiquement forgés pour assurer qu’ils passent allégrement dans le langage courant et servent effectivement leurs causes sociales.


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