Tuesday, June 16, 2020

Le dernier baroud de Joseph Nindorera, Juillet 2017


Le 23 août 2016, Joseph Nindorera décédait à 86 ans. Ainsi en décida son cœur affaibli, en quête de repos éternel.

Dans ses dernières heures, il grimaçait à la vue des bonnes âmes apitoyées autour de son lit, qu’il essayait de duper par des zestes de vitalité. Il détestait ce lit qui lui donnait l’impression d’être déjà au lendemain de sa propre mort, au fond d’un cercueil, à contempler, vivant mais impuissant, parents et amis, les uns après les autres, se prosterner sur sa dépouille. Ce deuil, de son vivant, l’insupportait et comme pour le lever lui-même et défaire ces mines d’enterrement, il rassembla toutes ses forces, débrancha ses cathéters et très lentement, se redressa sur son lit puis posa ses pieds au sol.

Aussi pâle et affaibli qu’il fût, il était résolu. Sans canne, refusant toute aide, il se hissa debout et poussivement, mit un pied devant l’autre, fit un pas après l’autre, sur quelques mètres mais de longues minutes entrecoupées de halètements et de gémissements sourds. Chacun de ces pas chancelants semblait arraché à sa répugnance à finir en grabataire, à sa volonté hargneuse de mourir aussi droit qu’il vécut. Pas à pas, il cheminait vers la pénombre et la solitude de sa véranda. Une fois-là, il se posa, non sans peine, sur une chaise, cala à son dossier un buste droit, pour une posture à ses yeux plus digne. Ensuite, les jambes et les bras croisés, il se retrancha dans le plus profond, le plus pensif de ses silences, la tête levée, le regard tourné vers une nuit sans promesse d’aube. C’est dans cette posture qu’à jamais, il perdit conscience.

De ce lit mortuaire répudié à sa chaise de patriarche, ces quelques pas vacillants furent les derniers qu’il fit dans ce monde ici-bas, l’ultime marche d’un des plus vieux et des plus anciens marcheurs d’endurance et de plaisance du Burundi.

C’est ainsi que Joseph Nindorera mourut. Plus exactement, c’est ainsi qu’il vécut. A l’article de la mort, il livra sa dernière bataille sur terre pour léguer aux siens, par quelques pas, une profonde leçon de vie : Aussi maigres qu’elles soient, comptez sur vos propres forces, vivez et mourez avec dignité !

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