Tuesday, June 16, 2020

Recension : Cyprien Mbonimpa, Mémoires d’un diplomate (1973-2006). Entre tourmente et espoir, Iwacu, 2016


A jeun ou pas, les deux cent dix-huit pages des « Mémoires » (2016) de Cyprien Mbonimpa, ancien Ambassadeur et Ministre des Relations extérieures du Burundi, se lisent facilement et rapidement. Ils sont racontés sous une forme de narration dense, riche en témoignages directs sur quelques événements importants de l’histoire politique du Burundi : l' "affaire Ntungumburanye" (procès politique de 1971), le cataclysme de 1972, le renversement du Président Micombero, l'avènement et la déchéance du Président Bagaza, la damnation du conflit de la décennie 1980 entre l’État et l’Église, la crise dite de Ntega-Marangara, la "politique d’unité nationale" lancée en 1988, la conférence de La Baule (1990) et le virage de la démocratisation (1990-1992), les élections générales et le drame de 1993, etc.. Tous ces événements, narrés dans un français propre et sans prétentions littéraires, Cyprien Mbonimpa en rapporte plusieurs moments vécus comme témoin et acteur de premier plan.

L’homme s'est fait connaître du grand public à sa promotion comme Ministre des Relations extérieures sous « la IIIème République » du Major Buyoya. Mais son livre ne manque pas non plus d’intérêt par le récit :

  • de ses premiers pas comme tout jeune fonctionnaire dans l'administration du Président Micombero, qui plus est dans les services de renseignement et dans le cyclone des événements tragiques de 1972 ;
  • de ses premières armes dans la presse nationale (sous le Parti unique) et dans la carrière de diplomate (Premier Secrétaire d'Ambassade à Bruxelles puis Ambassadeur à Paris) sous le Président Bagaza.

Ces « mémoires » abordent la carrière de l’auteur et les époques qu’elle a traversées sans manquer, à chaque étape et tournant clé, de vérifier, confirmer ou (le plus souvent) infirmer, tantôt des « rumeurs » tenaces répandues sur son compte personnel, tantôt des « thèses populaires » sur des événements politiques mémorables. Cyprien Mbonimpa semble particulièrement soucieux de se laver des accusations de trahison politique qu'il traîne derrière lui. Elles vinrent d'abord de l’ex-Président Bagaza et de ses proches, qui le tiennent pour fourbe, par le fait d’avoir réussi le tour de force – à leurs yeux invraisemblable - de passer sans transition du poste prestigieux d’Ambassadeur à Paris sous le Président Bagaza à celui de Ministre des Affaires étrangères sous le Président Buyoya. « Complot en vue du renversement des institutions » fut aussi le « crime » qui lui fut imputé par le gouvernement de Buyoya (1987-1993) qui le porta sur les plus hautes cimes de sa carrière avant de le disgracier. C’est sur l’ « infamie » des accusations de ce gouvernement, sur la peine et les blessures (prison) qu’elles lui causèrent qu’il s’épanche le plus, clamant son innocence, expliquant la lucidité politique, la nouvelle philosophie de vie et la foi qu’il en tira (sa réclusion à la prison de Mpimba le confina un temps à la lecture entière de la Bible). Pour se défendre de ces accusations, l’auteur avance des faits, des logiques et, avec le recul du temps, son opposition de principe aux putschs. Avec recul car paradoxalement, l’auteur témoigne aussi des démarches personnelles, sommaires mais intrigantes qu’il entreprit auprès des colonels Bagaza et Firmin Sinzoyiheba à des périodes différentes pour leur signifier ses encouragements en faveur d'un renversement militaire des pouvoirs des Présidents Micombero et Ntibantunganya.

L’Ambassadeur Cyprien Mbonimpa évoque les circonstances de ses changements de fonction, les rencontres gravées dans sa mémoire, pour ce qu'elles changèrent dans son destin, en bien ou en mal. Par endroits, il exhume des souvenirs pour le caractère comique, loufoque ou prémonitoire des situations qui se produisirent et qu'il relate. D’où l’abondance des anecdotes qui rendent à la fois plaisante et instructive la lecture de son livre. Ses hautes fonctions l’amenèrent à fréquenter les sommets de l’État. Le lecteur se délectera des esquisses de "psychanalyse" des Présidents Bagaza, Buyoya, Ntibantunganya, Ndayizeye et Ndadaye, avec lesquels il eut, pour les uns, des rapports de travail étroits, pour les autres des face-à-face occasionnels ...

Rompant avec sa vocation de « mémoires », le dernier chapitre du livre est consacré à la vision du futur, les credo et les espoirs de l’auteur pour la paix, le développement économique du Burundi et de sa région. Cette partie prospective fait un arrêt chronométré sur le conflit politique en cours au Burundi et sur les gouvernants actuels. Il ne les épargne pas de son regard critique mais les amadoue de conseils prodigués avec une plume révérencieuse, digne d’un diplomate habile et chevronné. Ce chapitre cassera l’entrain des lecteurs avides d’histoires et peu disposés à suivre l’auteur dans les circonvolutions de sa pensée sur la « Vision 2025 » du Gouvernement burundais et les nouveaux défis de l’intégration économique régionale au sein de la Communauté Économique Est-Africaine (EAC). Cette partie tendra aussi à créer ou consolider chez le lecteur le sentiment que les nombreux voyages, les innombrables rencontres, les bonheurs et les revers de sa carrière ont concouru à faire de l’auteur un homme lucide, accompli et apaisé, à l’esprit moderne, résolument tourné vers l’avenir, encore plein d’énergie et de projets.

En fin de compte, ces « Mémoires d'un diplomate" retracent la chronique des reliefs d'une carrière livrée au public avec un mélange buvable d’humilité et d’estime de soi, sans passions malsaines, avec un esprit manifestement apaisé par le temps et les épreuves. C’est une contribution sobre mais utile à l’écriture de l’histoire contemporaine du Burundi à laquelle, malgré tout, l’auteur doit davantage. Après un  parcours politique long, chargé d’illusions et désillusions, de fortunes et infortunes, Cyprien Mbonimpa a sans doute pris sa plume en partie pour exprimer sa gratitude envers les personnes, qu’il nomme, auxquelles il doit les plus belles pages de sa vie. Quant à ceux et celles qui trahirent sa confiance et son amitié et dont il préserve l'anonymat, il déclare les avoir fait passer par pertes et profits, sans rancune. Ainsi va la paix.

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